Michel Guibal

 

Le nom brille

 

On m'a ordonné de vous amener chez moi et d 'attendre votre réveil: j'ai obéi. On m'a ordonné de vous avertir que l'ivresse est mortelle. J'ai informé le saint ministre que vous n'entendiez rien à la langue de Dieu. n a jugé que c'était sans importance, il suffisait que la vérité fût dite, mais je devais vous en donner le texte écrit.. Casanova (lsocaméron).

 

Il y a ici, en ce lieu, des enjeux institutionnels qui tournent autour de ce qui pourrait faire lien social: la P.I.P., à entendre comme on voudra, mais aussi comme Projet d'Institution Psychanalytique. Le travail qui suit n'indique en rien que demain je fumerai de cette P.I.P. là. Il vient d'un autre lieu qui fonctionne depuis deux ans déjà selon une méthodologie particulière interrogeant par son mécanisme la transmission sion d'un dire. Je demanderai à S. Ginestet et à P. Delaunay ainsi qu'au public de la rue Cujas de bien vouloir me pardonner d'exporter en un autre lieu, ce travail qui est aussi le leur, en mon nom, ce dont je me prive dans ladite rue. Le discours analytique se déploie dans un système qui, s'il remet en question les identifications imaginaires, ne touche en rien au statut de l'identité. Identité ici conçue comme un subtil mélange de conviction, de certitude et de croyance, mélange qui régit les obligations entraînées par l'appartenance à tel ou tel patronyme. Si Freud a abordé la question du nom patronymique, c'est uniquement pour s'attacher au sens particulier que revêt l'oubli de ces noms, celui de l'autre. L'amnésie portant sur son propre nom et encore moins sa négation, son rejet, son retranchement ne sont envisagés. Lacan cependant, par les noms-du-père, permet analytiquement de dissocier la question de la paternité de sa colle avec le patronyme sinon d'avec le patrimoine, pour le rabattre au rang d'un vraisemblable. Le nom patronymique transmis par voie orale à celui qui le porte est inscrit par avance sur le registre d'état civil, premier niveau d'écriture sur un support administratif sur lequel le discours analytique s'appuie tout aussi bien. L'on connaît les projets de fichiers qui, depuis la naissance, ne consigneraient pas seulement le nom patronymique du sujet mais aussi les menus dires sur les divers événements structurants, en sa préhistoire, le parlêtre. Systèmes d'écritures à disposition de l'autre, qui va gérer, donc, la circulation du sujet dans le socius. Aussi bien dans la relation entre l'analyste et l'analysant, il y a un consensus sur le vraisemblable de l'appartenance patronymique. Nous poserons qu'il y a une autre inscription, à disposition de l'autre elle aussi, autour de laquelle se joue l'appartenance d'un individu à une naissance biologique: la cicatrice ombilicale:

“ la maternité découle d'un fait visible, l'accouchement, qui ne peut rester complètement ignoré et dont la preuve peut être rapportée. ”

Le sentiment d'identité sur lequel repose l'hypothèse même de l'inconscient au sens de Freud en 19153 est à mettre en rapport avec la reconnaissance et la lecture de ces deux types d'inscriptions sur support non neutre: la première, une inscription visible sur un support administratif éventuellement juridique, la seconde la cicatrisation d'une blessure sur le corps de l'autre et ceci quels que soient les avatars de cette perception, avatars qui pourraient se dire de la même façon que Freud les pose pour la perception de l'absence de pénis chez une femme: déni, démenti, désaveu. Reconnaissance et lecture par l'autre, préliminaires à toute pensée, possible, de l'Autre. Seule la négation même de ces inscriptions est à mettre en rapport avec une problématique du côté de l'identité. Nous n'envisagerons ici que la seconde de ces inscriptions: la cicatrice ombilicale.

I. Prenons comme point de départ la réponse que fit le Docteur J. Lacan à M. Ritter4.

M. Ritter tentait de mettre en relation le non reconnu, I'unerkannte avec ce que Freud désigne par l'ombilic du rêve. Le non reconnu est proche de ce que Lacan indique comme le réel. Lacan, en sa réponse, annonce qu'il reconnaît un réel pulsionnel pour le joindre avec ce que, de la pulsion, il réduit à la fonction du trou. Trou lié aux orifices corporels. “ Il y a quelque chose dans l'inconscient qui est signifiable de façon analogue à ce qui se passe au niveau des orifices corporels. ” Il donne statut particulier à cet orifice particulier qui est celui de l'ombilic: un orifice qui se boucle, qui fait nœud. Ce que Lacan ne mentionne pas ici, c'est que pour faire trou il y faut un tiers, tiers qui généralement fait institution. De la même façon pour que ce trou fasse nœud. Ladite institution n'est-elle même pas sans rapport avec l'administrativo juridique qui gère dans, par et pour le socius, la trace visible de ce réduit de la pulsion. Cette analogie dont parle Lacan, et j'accentue ce terme, entre ce qui est signifiable dans l'inconscient et l'institutionnalisation des traces de cet orifice qui s'ouvre se boucle et fait nœud (les preuves de l'accouchement S) permet de mettre en rapport le non reconnu, l'impossible à reconnaître même, le refoulement originaire (ce qui en aucun cas ne peut être dit) et plus même qui ne cesse pas de ne pas s'écrire, mais à l'origine même du langage. Ajoutons: pour autant qu'ici nous prendrions ce stigmate visible sur le corps de l'autre pour une première inscription, à l'origine même de l'écriture qui cesse de ne pas s'écrire. Ce qui est signifiable d'analogue dans l'inconscient ne se trouve analogue que par un déplacement, je cite: “ Il y a quelque chose, ce n'est pas pour rien que cela se résume à une cicatrice, à un endroit qui fait nœud et que ce nœud est pointable, non plus à sa place bien sûr puisqu'il y a le même déplacement qui est lié à la fonction et au champ de la parole. ” Je soutiendrais l'hypothèse que pour penser ce déplacement d'un lieu visible par l'autre à un lieu autre (une autre scène) l'espace du rêve, que pour penser ce transfert, il est nécessaire que ce stigmate ait été vu, lu, et reconnu par l'autre et par avance (comme signe d'un impossible à reconnaître) . Le refoulement originaire est par avance à relier avec une interprétation possible que l'on peut faire de l'apport de Freud qui, à l'occasion, liait le refoulement originaire à la fixation (niederschrift) en opposition au refoulement secondaire qu'il désignait de l'après-coup.

Simplement pour situer le par avance à un autre niveau, un niveau de visibilité, de reconnaissance et de lecture par l'autre L'hypothèse de l'inconscient ne pourrait se soutenir que de cette reconnaissance corrélative d'un déplacement possible, d'un transfert vers un lieu métapsychologique. Il y faut au-moins-un qui sache le lire, pour ajouter que cet au-moins-un est in institutionnalisable, contrairement au tiers institutionnel qui fait boucle et nœud de l'orifice ombilical. L'identité de cet au-moins-un est en elle-même un problème.

II. La deuxième partie de mon propos porte précisément sur la P.I.P., psychothérapie d'inspiration psychanalytique (J.R. Held 1963). Il concerne les cures actuellement closes de deux personnes qui au départ étaient prises dans la pathologie d'un système, celui de l'identité tel que je viens de tenter de le cerner. C'est-à-dire des délires de filiation. Pathologie qui impliquait la rupture du consensus sur le vraisemblable du nom patronymique. L'on sait que sur le plan juridique les preuves de la filiation maternelle ne sont pas inattaquables. À l'occasion, il faut recourir aux “ commencement de preuves par écrit ” et aux témoignages avec tout ce que cela peut avoir de trompeur malgré l'affirmation des juristes: “ aussi les juges qui pourraient se contenter du commencement de preuves par écrit sans autre complément lorsque la vérité s'impose à la conscience du juge, éclatante et décisive ” 9. Dans cette pathologie ce qui spécifie la métaphore délirante, c'est le degré de conviction qui s'y rattache portant sur une remise en cause de l'identité du sujet autour de laquelle s'organisent les réponses à des questions qui ne se sont pas posées. Destruction du nouage de la certitude, conviction et croyance. La prévalence de la conviction mettant tout aussi bien le réel, ce réel dont on est coupable, au premier plan dans ce qui peut se dire des expériences primaires du réel. Cette culpabilité s'articule avec le sens juridique: les preuves à conviction, être convaincu de... etc. Dans cette pathologie, seule la conviction va gérer ce qu'il en est d'une réponse à une question non posée sur les origines. Négation du patronyme et des obligations sociales qu'il entraîne, mais aussi négation de toute différence (sexuelle en particulier) pour mettre en scène une origine mythique grandiose, unique, liée aux idéaux, divine en un mot, négation de la cicatrice ombilicale. Cette non reconnaissance du signe visible entraîne comme conséquence une impossibilité de son effacement, corrélative de son déplacement, de son transfert 10 d'un lieu de visibilité vers une autre scène hors champ visuel, dans laquelle Freud place l'ombilic du rêve. C'est en ce sens que l'on pourrait dire que cette pathologie se désigne d'une absence de transfert, car du transfert au sens transfert d'imagos, d'identifications, d'hainamoration, il n'en manque pas... Bien entendu, puisque c'est à partir de ces deux cures “ analytiques ~ dont je parle que ces questions se posent, il importerait de situer la place de l'analyste dans de telles cures. Ce n'est pas le lieu d'aborder ici ce qui pourrait se nommer technique de la cure et la théorie du transfert qu'elle implique, d'autant que cela fera l'objet du travail de recherche qui s'exposera l'an prochain rue Cujas. On peut simplement remarquer, a minima, qu'il conviendrait assez bien à l'analyste de participer à un travail au cours duquel pourrait venir à se soutenir l'hypothèse de l'inconscient. Si de surcroît il advenait que le sujet puisse à nouveau répondre de son nom patronymique, au nom de quelle éthique de la psychanalyse pourrait-on critiquer ledit analyste, même si cela s'appelle guérison. Autrement dit, peut-on mettre en rapport la guérison avec la possibilité retrouvée ou nouvelle de soutenir l'hypothèse de l'inconscient cient ? Il importe de repérer d'où s'inaugure dans une telle pathologie la démarche vers l'analyse et l'analyste, démarche autre que de lui faire partager une conviction que d'ailleurs tout le monde partage, même les persécuteurs. Dans mon expérience, elle coïncide avec un point d'arrêt devant les dégâts imaginaires (entendus comme agressions auto ou hétéro érotiques) entamant le réel en rapport avec ce que l'on peut supposer de rejet du côté du symbolique 11 Tentatives de se séparer, de retrancher une partie du corps, non pas dans un but suicidaire, mais pour retrancher ce qui vient de façon pulsionnelle et intolérable remettre en question la cohérence délirante. Point d'arrêt en rapport avec ce paradoxe: le retranchement, si effectivement il pouvait permettre de maintenir la conviction, entraîne comme conséquence de supprimer la vie elle-même. Il s'agirait de soutenir que les blessures et leurs cicatrices visibles sont à lire (en leur répétition même) comme demande qu'elles soient précisément reconnues comme ce qu'elles sont: des cicatrices ombilicales sans cesse déplacées. Ces ouvertures fermetures répétitives signalent que la cicatrice première n'a justement pas été vue et reconnue par l'autre. La fonction du au-moins-un n'a pas été effective. Qu'un individu aille jusqu'à la mort sous les yeux de l'autre pour avoir le droit d'être n'est pas le moindre des drames de cette pathologie dont l'orthodramatisation consisterait à la réduire à une blessure ombilicale, c'est-à-dire aussi à une cicatrisation du délire.

III. Voyons les lignes de force qui s'organisent autour de cette ouverture fermeture particulière et qui cernent la cicatrisation du délire. De quoi ce stigmate fait-il signe à l'autre ? Il apparaît avec Lacan, je cite: “ Comparer cette fermeture à un trou n'est pas commode, si au mot ombilic on donne sa présence de nœud corporel, ce n'est pas commode à ceci près tout de même que ce que ce nœud a fermé, c'est quelque chose par quoi pendant un temps notable tout ce qui vit provenait. C'est ça qui permet l'analogie entre le nœud et l'orifice. C'est un orifice qui s'est bouclé ~ Ce qui s'ouvre et se ferme du fait d'un tiers institutionnel, c'est ce tout pouvoir d'où provient la vie et, ajoutons, la mort , C'est bien en effet ce qui se retrouve autour des blessures, aussi minimes soient-elles. Une question sur ce tout pouvoir. Ce nœud fait signe de la déchéance de ce tout pouvoir. La demande répétitive vient faire appel qu'enfin soit reconnu que l'autre ne peut plus tout. Cela pourrait se dire ainsi: en ce qui concerne la circulation de mon sang je n'ai plus besoin de toi, ainsi que le premier cri d'appel, certes inaugurant la série besoin demande désir, est aussi un premier cri d'appel d'air, cet objet du besoin qui n'est pas sous la dépendance de l'autre comme le sein. Il y a là signe fait à l'autre qu'il y a de l'immanence vitale . Quel est cet au-moins-un qui sait lire ? Naturellement il devrait désigner la mère pondeuse et c'est bien effectivement à elle qu'il semblerait que ce signe s'adresse. Elle qui dans le cas présent pourrait se dire une femme rendue toute par la grâce de Dieu. Dans le cas où l'hypothèse de l'inconscient peut se soutenir on dirait une femme rendue toute par la grâce d'un signifiant. C'est bien elle qui aurait à déchoir de cette position, c'est-à-dire redevenir une femme. Ce qui se révèle, c'est qu'il n'y a pas de nécessité à ce que ce soit la mère pondeuse, il suffit qu'il y en ait au-moins-un. La question restant posée de savoir si cet au-moins-un peut être l'analystes? C'est de la réponse à cette question que peut se soutenir ou non la possibilité d'une greffe de transfert 16 dans de tel cas. Cet au-moins-un sera désigné de l'éphémère, effet mère qui fait du père. La reconnaissance des blessures comme cicatrices ombilicales coïncidant avec la cicatrisation du délire s'accompagne d'un procès de séparation que l'on pourrait imager de ceci: i(a)i'. On ne parle pas ici de fusion, mais de croisement imaginaire, d'espaces imaginaires dans lequel vont se jouer les quêtes d'objets petit a. À faire remarquer que cette quête sera celle de deux personnes pour le même objet, que Lacan dirait ici être une relation d'objet dans le réel. Le psychotique étant l'objet pour deux. Dans sa quête de ses objets, le sujet ne rencontre que l'image du corps de l'autre, mais quand il n'y a qu'un seul objet pour deux on peut imaginer les dégâts imaginaires entraînés par cette quête, dans la mesure où l'on donnerait tout leur sens aux pulsions d'agression et au bemachtigungstrieb de Freud. Le passage de cette position subjective i(a)i' à $ O a se marque cliniquement par la manière dont une personne se sépare de morceaux du corps de l'autre: croûtes, saletés corporelles, vêtements, éventuellement des morceaux de corps réels dont on ne sait jamais très bien à qui ils appartiennent. Pour imager on peut reprendre la P.I.P. Après Foucault, Magritte je vais introduire Labruyère, la racine de la bruyère. Effectivement, si on dessine une pipe sur un tableau de Magritte ou de l'université les conséquences ne seront pas les mêmes si on essaye d'y tailler ladite pipe que si on la dessine sur une racine de bruyère. Dans un cas elles seront catastrophiques, dans l'autre on obtiendra l'objet lui-même. La quête des objets petit a serait donc à mettre en rapport avec le dessin d'une pipe sur le corps de l'autre et les pulsions d'agression érotiques avec les tentatives pour se saisir de l'objet. Il y aura donc une entaille laissant trace visible, pour autant que cet acte n'entrerait pas dans le cadre de ce que l'expression tailler une pipe désigne dans la rhétorique érotique. Dans le même temps, à la suite d'un travail de reconstruction imaginaire, il y aura réouverture de procès de culpabilité non tenus non inscrits, autour de décès d'êtres proches. Procès non tenus à mettre en rapport avec ce que l'on peut nommer avec M. Torok “ incorporation orale du cadavre ” qui qui suppose une incorporation orale du vivant prélable. Cet arrêt à un stade quelconque du procès de culpabilité entraînant un blocage dans le destin des cadavres qui disparaissent sans inscriptions, sans sépultures. La constitution d'un lieu pour les vivants et d'un lieu pour les morts est à mettre en rapport dans les cures avec la présence d'un dire qui permet de resituer différents lieux intrasystémiques ques, souvenirs, fantasmes, rêves, lapsus, actes manqués, etc., qui permettent de soutenir l'hypothèse d'un transfert possible d'un lieu à

Bien entendu, tout cela reste très schématique dans le cadre de cet exposé; retenons que le parcours des traces visibles sur le corps de l'autre ainsi que celui des inscriptions funéraires et la reconnaissance de ce dont ces traces font signe (un impossible à reconnaître) coïncide avec la chute de la conviction délirante pour s'articuler à un vraisemblable patronyme. À noter ici que les traces funéraires marquent pour certain le passage de la préhistoire des sociétés sans écriture à l'histoire des sociétés avec écriture. ~ ....................~

IV. L'éphémère ne se soutient pas uniquement de cette lecture possible de cet au-moins-un qui sait lire, encore faut-il qu'il s'accompagne d'un dire. Se laisser aller à dire sa division, sa déchéance de la totalité imaginaire, se laisser aller à dire l'absence radicale de l'autre, en sachant que cette radicalité de l'absence se marque d'un impossible à la dire parce qu'elle touche au réel (le cadavre comme pur réel). Ce dire sur l'absence radicale de l'autre instaure précisément sur l'Autre la barre. C'est dans ce dire sa division, ce dire impossible à dire, c'est dans ce paradoxe à soutenir, dans cette proximité entre le dire sur la cicatrice lue en tant que déchéance de la totalité imaginaire et capricieuse et le dire sur le cadavre de l'autre et ses inscriptions, dans cette simultanéité du dire et de l'écrit que va se réactiver le désir de meurtre qui, s'il est pris en compte dans sa radicalité, fait du père.

Retournement du mythe du meurtre du père en cette formulation: tout cadavre réel impliquant un criminel fait père pour autant que le procès de culpabilité soit tenu. C'est bien parce qu'il y a de l'impossible que l'on pourrait dire que le signifiant du nom du père est refoulé originairement;nairement, on ne peut l'approcher que de façon asymptotique. D'une autre façon, en tant qu'il y a liaison de nécessité entre la lecture d'un signe visible et un dire, le signifiant est indissociable de son référent (le cadavre et son destin) qu'il ne fait qu'entailler. On pourrait énoncer que ce signifiant ancré est ~ , encre. C'est dans la mesure où il y a faillite de l'au-moins-un, de l'ephémère, qu'il y a levée du refoulement originaire, un lever de 1'~Le signifiant alors éclate dans toute sa vérité: je suis Dieu et ses multiples variantes. La cicatrisation du délire ancrant le signifiant d'une inscription funéraire instaure un vraisemblable patronyme. Cet éphémère qui fait père ne saurait s'institutionnaliser, pris qu'il est entre les institutions qui bouclent les délires et celles qui s'en nourrissent.

V. Quel rapport avec l'écriture ? Je ne donnerai ici qu'un résumé puisqu'aussi bien la transmission orale n'a pu être livrée lors du colloque. Au moins deux appuis: je citerai d'abord un passage d'“ Écriture et sexuation ~19 à Deux moments extrêmes où Mishima passant de la plume au sabre, du papier à son propre corps, marque l'écart tragique de son impasse; la fente impossible à combler; la castration radicale, dans ce saut de l'imaginaire au réel. La plume, écrivant, trace un trait, une coupure, une ligne de partage, un bord, une ligne de démarcation, entre le clair et l'obscur, entre le noir de l'encre et le blanc du papier. Le geste fait un peu plus tard, à la pointe de son sabre sur son ventre, appartient-il encore à l'écriture? Idéogramme terminal, ramassé, à l'extrême de la concision... La trace sur la peau, faite avec la pointe de l'acier, est une coupure complexe, pénible, faite de reprises pour conduire l'entaille, jusqu'à la limite où la douleur et l'hémorragie sont tolérables. Certes, là, l'écriture est de courte durée. C'est un point d'orgue cruellement emphatique, baroque peut-être. La main qui commence la marque n'achève pas elle-même l'entreprise commencée. On peut poser l'interrogation suivante: si, là, sur le ventre, écriture il y a, ce qui est vraisemblable, écriture primitive, archaïque, signe, tel un cri, quel est le sens de cette inscription, et précisément sur un tel lieu du corps ? ” Ensuite, “ Pour une théorie de l'écriture ~ 20: “ L'écriture se manifeste, non par des objets, mais par des marques sur eux, ou sur tout autre support. Les signes de l'écriture sont produits d'ordinaire par l'action des mains, qui dessinent, peignent, entaillent ou grattent. C'est ce que laisse voir le sens même, l'étymologie du mot écrire dans de nombreuses langues, et très diverses. ” Ce qu'ont en commun ces deux textes, c'est de mettre en rapport l'écriture avec une violence plus ou moins grande faite à un support, violence d autant plus importante que proche de l'archaïque. Ainsi, avant d'envisager l'écriture comme un pur système de signes, qui rend légitime l'analogie de Freud, il importe de lier le système à ce dont il ne peut être dissocié, la violence faite à un support visible, ce qui rend l'analogie plus hasardeuse. De la même façon que si l'on ne peut oublier le scribe, il importe tout autant de ne pas laisser pour compte le lecteur. Toutes ces questions me semblent d'ailleurs avoir été soulevées dans ce colloque par les spécialistes mêmes de l'écriture. Avant donc de pouvoir traiter analogiquement l'écriture du rêve comme un pur système, il importe de mesurer le prix de l'effacement du registre visible de la lettre et de son support. C'est là précisément que je place la fonction de cet au-moins-un éphémère qui par avance dit sa lecture, ce qui fait du père. Cela interpelle précisément l'analyste en tant que se pose la question de savoir s'il n'a pas dans la psychose en tant que tel à occuper cette place, sinon ailleurs. Pourrait-il se supporter de laisser croire que l'inconscient se lit à livre ouvert, d'autant plus que dans la psychose comme le disait Freud, on a accès à l'inconscient sans réssistance.

1. En dehors de cette preuve extra juridique de la filiation il peut exister des preuves juridiques, attestant que le système n'est pas infaillible.

2. Leçons de droit Civil, tome 1, 3e vol, M. de Juglart éd., Montchresten, page 205.

3. “L'inconscient”, Métapsychologie, Gallimard.

4. Lettres de l'école freudienne, avril, 1975.

5. M. de Juglart, op. cit., page 226.

6. Ce transfert d'un lieu vers l'autre met en jeu l'effacement de la trace visible.

7. Où l'on voit que le scribe de l'inconscient est déterminé dans son après-coup par l'existence par avance d'un lecteur d'une inscription tracée et visible sur un support non neutre. À partir de L'inconscient et son scribe de Safouan, Seuil.

8. Sans vouloir faire une théorie unifiée de la psychose où tout délire impliquerait une théorie délirante primaire portant sur les origines. Cf. P. Aulanier, La violence de l'interprétation, Le fil rouge.

9. Rouen, 14 mars 18. D.187.2.193. S.1880.1.241. Sur Civ.; 9 juillet 18 9.

10. Sur le transfert voir: Freud, Traumdeutung, chap. ~, GWII/III, 568 et Lacan, Écrits, pages 10-308-373-593-618-619-623, ainsi que SEM. I. 269-0, 309-316, II. 222, Il. 244-245, XX. 64.

11. J. Lacan, ~ Préliminaires à tout traitement possible de la psychose ~, Écrits, Seuil.

15. Cela pose la question de savoir s'il y a une durée limite au-delà de laquelle la lecture après coup serait inactive.

16. À propos du concept de greffe du transfert je fais référence à toute l'œuvre de G. Pankow qui en témoigne. L'homme et sa psychose. Structures familiales et psychoses, l'être là du schizophrène, Aubier.

17. M. Torok, “Fantasme du cadavre exquis.

18. S. Ginestet, “ Psychanalyse et apocalypse ~, Confrontation: L'identification par incorporation orale, p. ~5.

20. Pour une théorie de l'écriture, Gelb, p. 8.

 

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