Jeudi 17 décembre 1998
La passe ou le temps d’avant
« La caméra dans la camera »
La quête incessante d’une textualité d’un temps d’avant le déluge : le livre d’Hénoch patriarche antédiluvien pourrait paraître mal sonnante. Mais si l’on y regarde plus attentivement on pourrait s’apercevoir que cette mal sonnance n’est pas sans rapport avec les dissonances de la post modernité. Cette quête (comme celle du Graal) est celle des lieux “d’origine” de la forclusion du miroir comme objet matériel hors de l’homme.1
Ce rejet pousse la singularité à se tordre, parfois de douleur physique ou psychique ou psychosomatique, afin d’avoir accès à sa propre face sinon son dos. Il peut aussi se tordre afin d’avoir accès au miroir hors de sa portée.
La représentation est un terme qui fût utilisé pour désigner la procession des cadavres vers leur lieu de sépultures quand les épidémies pesteuses produisirent cette accumulation qui ôtait toute possibilité de les masquer dans un art funéraire dit l’art macabre.
Ces morts collectives naturelles entraînèrent du bouleversement conscient/inconscient qui eut pour effet d’instaurer l’inscription des patronymes pour régler les successions et soustraire aux “patres” anonymes la dépouille mortelle.
Que la représentation ait un rapport avec la mort en témoigne l’énorme production textuelle qui scande les nombreux colloques qui parsèment la modernité.
La (le cadavre) mort comme miroir, un miroir de plus autre que le miroir afin d’assujettir l’individu à un universel coupé d’une dialectique vivante avec la singularité.
Lénine aussi bien qu’Hitler comme première décision interdirent le miroir et Elias Canetti dans la comédie des vanités en 1933 fait œuvre de témoin visionnaire de son temps.
Ibn al Haytham a qui l’on doit l’invention de la “caméra obscura” machine qui ouvre toute possibilité expérimentale à la science de la représentation ne mesurait pas qu’en inventant cette machine il rendait d’une certaine façon inutile le miroir pour faire apparaître l’image là où l’objet n’est pas. Il faisait entrer l’objet dans la chambre par son image.
Une autre affaire est la représentation du meurtre. Les films de guerre montre à l’envie que cette représentation n’est pas impossible. Elle fut interdite.3 Elle n’est pas impossible de la même façon que dans les films X il n’est pas impossible de montrer le pénis dans son activité pénétrante. L’arme qui vient de l’extérieur pénétrer les corps est visible comme l’objet dardant ces rayons pour pénétrer la cavité oculaire. Mais quand c’est la victime qui est poussée dans l’arme du crime ? Que devient la monstration du meurtre. Ce n’est pas que c’est interdit mais c’est impossible sauf à introduire une caméra dans la caméra.(seuls les nazis auraient pu le faire).
Serions nous tous dans la chambre confrontés au désir de voir la scène de sa conception ou de son meurtre. Kojève indiquait en 1931 que l’homme est mortel mais il ajoutait déjà que le monde peut le tuer.
“Devant le miroir le déporté vit une sorte de jaillissement de sens, la résurgence d’une identité qu’il découvre soudain n’avoir jamais cessé d’être. Devant son image revenue de l’absence, se ravive le regard de ceux qui lui sont le plus familiers, ceux qu’il aime et auxquels il ne cesse de penser. Le miroir épouse les traits du visage intérieur, un visage plein, nourri encore symboliquement de la mémoire des proches. Un instant le déporté échappe à son corps, à la maigreur, à la faim, il retrouve sa mémoire. Une épiphanie de soi. L’identité renaît de ses cendres. A l’homme défiguré, il reste encore le sourire du visage intérieur. Cela nul bourreau ne peut l’atteindre. Mais il faut avoir pour le distinguer des yeux que la mort n’altère pas encore. Parce qu’il donne une voix au sacré, le miroir devient une arme inappréciable dans le quotidien du camp. Il enseigne à l’homme la permanence de son visage. Il indique également que le sens du sacré en l’homme a pour origine le visage.” 4
1.Voir ici A. Kojève : l'athéisme
3.Allusion à la censure instaurée par les militaires en 1914/1918 afin de protéger les mères et les enfants.
4. Robert Antelme